La vie sur le Lady Grace n'était pas une sinécure. De combats en corvées, les corsaires les plus aguerris n'avaient de cesse de l'expérimenter. Et pour cause, ils risquaient à tout moment de mourir, noyés ou pire. Quand à les plaindre, c'était une autre histoire. Après tout, ne l'avaient-ils pas cherché? N'allaient-ils pas jusqu'à appeler la vie sur un rafiot « liberté »?
Insensé, me direz-vous, et pourtant on ne peut plus réel.
Pour preuve, il n'y avait qu'à voir Phillip Clarke, homme d'apparence très sain d'esprit, savourer un quart passé à s'user les mains sur les cordages. Pire, alors qu'une voile se déchirait soudainement sous le coup de l'usure et d'une légère rafale de vent, les hommes l'entourant purent l'entendre rire. Hallucination due au rhum que tout ceci? Si seulement! Et si on essayait de questionner notre homme sur le sujet, pour sur qu'il dirait être juste capable de savourer les petits plaisirs de la vie. Rien de tel que de rapiécer une voile, ou d'accomplir n'importe quelle tâche minutieuse et concrète, pour se sentir vivre.
Sauf de passer une nuit avec une femme, mais ça, c'était une autre histoire. Les femmes étaient une constante dans la vie de Phillip, une valeur sure. Tandis qu'il avait passé la moitié de sa vie à se faire des nœuds au cerveau, à discutailler philosophie et sémantique avec des nobles incapables de faire quoi que ce soit de leurs dix doigts. Pour sa part, il n'avait maintenant que 9 doigts et demi, mais c'était avec un plaisir chaque fois renouvelé qu'il en faisait usage, et avec adresse, qui plus est. Le tout, accompagné d'un beau pied de nez à ses anciens comparses de la cour du roi d'Angleterre, encore occupé à déterminer qui de la poule ou de l'œuf était arrivé en premier.
Ha! Et avec tout ça, il avait finit son ouvrage. Pas peu fier de lui, Phillip secoua un bon coup la voile réparée puis se mit séant, poings sur les hanches et sourcils froncés. Oui, ça ferait l'affaire. Ouch, sauf qu'avec tout ça, il avait le genou droit tout ankylosé, celui là même qui avait prit un coup au dernier assaut. Le temps de jeter un regard alentours, il le plia délicatement avant de reposer le pied au sol et de tester son appuie avec précaution. Là aussi, ça ferait l'affaire. Surtout qu'il avait repéré le p'tit, au loin, et qu'il avait bien envie de lui rendre une visite.
La démarche chaloupé du marin pour marque de fabrique, le corsaire s'avança dans le dos de l'enfant. Ce dernier, occupé, ne le voyait pas venir. Que regardait-il donc dans sa boite? Là était la question et elle n'était pas la seule. Comment se faisait-il que Charlie n'ai rien à faire et reste tout seul dans son coin? Ce n'était pas son genre. Sauf si... Enfin, peu importait la raison de cet isolement, ce n'était pas le genre du monsieur de laisser ses corsaires tranquilles.
Héhéhé, Phillip riait intérieurement à l'idée de surprendre le gamin et c'est avec un sourire un peu dément aux lèvres qu'il se pencha au dessus de l'épaule de Charlie.
- Alors, gamin.A peine Phillip avait-il commencé de poser sa question que Charlie se redressait et refermait sa boite pour mettre hors de vue son contenu. Le corsaire ne se démonta pas pour autant. Après tout, il n'avait pas besoin de savoir ce que trafiquait l'enfant pour venir le taquiner. Il préférait même qu'il en soit ainsi, par pudeur et respect de la vie privée de ses matelots.
Ce qui explique son ton un poil décalé et sa façon de s'exprimer à cent lieux de celui qu'il employait habituellement. L'air d'un vieux roublard plutôt que d'un chevalier, il poursuivit:
- On fomente quelque chose de pas clair?La boite était fermée, mais ce n'était pas pour autant qu'il allait se priver d'un regard suspicieux et appuyé à destination de cette dernière. Histoire de bien se faire comprendre, il ajouta même un léger reniflement.
- T'es pas allé faire des emplettes chez l'artificier quand même?Le tout se ponctuant d'une mimique effrayée et un peu comique. Sa voix était légèrement grondante, ce qui explique qu'on puisse s'en effrayer, mais il était aussi clairement affiché que le monsieur ne prenait pas la situation au sérieux.