Le Black Rock. Aussi sombre que son nom. Ses hommes brutaux, sa réputation sauvage et violente. Ses exactions. La terreur répandue par son évocation. Là où l'Audacia était souvent accueilli en héros, acclamé et apprécié, le Black Rock était craint et redouté. Fui même. Les deux revers de la médaille, les deux cœurs qui battaient dans cette nation pirate à laquelle j'appartenais. La lumière et la flamme vibrante de la liberté incarnées par l'Audacia, ce foyer auquel j'avais voué allégeance en retrouvant mon père. Et les ténèbres, la sombre perversion, le goût de la souffrance et du sang incarnés par le Black Rock et son équipage malsain.

Dire qu'il avait fallu que je monte à bord. Avec l'Audacia à quai à Port-Liberté, il avait fallu répartir une fraction de l'équipage sur les autres bâtiments pour les envoyer rejoindre les villes où nous devions agir. Owen et Ximena étaient partis avec le Salvadore Pirena, Shane et Henry avec l'Adoracion. Mon père aurait voulu que j'y aille, mais Shane avait pris ma place : je redoutais de m'approcher de Connor. Et j'avais donc embarqué sur le Black Rock à la place du second de l'Audacia, escortée... par personne. Shane aurait dû venir seul. Unique femme à bord, je me sentais vulnérable – mais j'étais la petite princesse de l'Audacia et Allister Ralj tenait le capitaine, Lewis Hamilton, comme personnellement responsable de ma sécurité. Et ça semblait fonctionner : pour le moment, on ne m'avait pas importunée.

A l'horizon infiniment bleuté, nulle trace de Port-Royal où nous nous rendions pour que j'entre en contact avec le réseau des contrebandiers. J'avais hâte d'y arriver... Hâte de souffler. Même là, perchée dans la voilure pour respirer l'air pur et m'isoler, j'étais tendue. Et comme si cela ne suffisait pas, des vibrations sur les cordages m'indiquèrent que quelqu'un était en train de monter me rejoindre sur la vergue où je m'étais installée.

On ne pouvait décidément pas être tranquille sur ce navire ? Pourtant, à part les gabiers, tous occupés à leurs tâches, les hommes n'aiment pas spécialement grimper aux cordages. J'avais toujours apprécié cette position dominante et en même temps, tellement isolée. Plus près du ciel, plus près des nuages. Plus près de la liberté. C'était tellement frustrant de ne pouvoir avancer que les pieds collés au sol ou au plancher d'un navire. Les oiseaux, eux, avaient des ailes pour s'élancer vers l'infini. La figure de proue de mon cher Audacia, avec ses bras lancés en arrière, donnait toujours l'impression de vouloir se détacher de sa prison de bois pour prendre son essor dans l'azur céleste. E l'enviais. Savourer ainsi le vent sur mon visage, la brise qui jouait dans mes cheveux, l'alizé qui faisait voler les pans de ma chemise... Il n'y avait que perchée en haut des mâts que je ressentais cela.

Liberté. C'était là l'essence de mon être. Ma raison d'exister. J'avais bercé dans cette notion depuis ma conception : j'étais née hors mariage des amours illégitimes de mon père, alors jeune pirate fringant, avec ma mère, jeune aristocrate qui m'avait mise au monde en plein célibat, alors qu'elle était prétendument pucelle. Elle l'avait fait dans un couvent reculé où elle était morte en me donnant la vie, et ma tante m'avait recueillie. Mais l'appel de la liberté ne m'avait jamais quittée, et je l'avais embrassé en suivant mon père venu me chercher six années plus tôt. Devenir adulte sur l'Audacia avait encore augmenté cet appétit farouche d'indépendance, et je n'étais vraiment bien sur leBlack Rock que perchée sur cette vergue, échappant au contrôle de l'équipage et savourant les caresses amicales des vents.

Mais bien sûr, ce trouble-fête d'Oliver ne tarda pas à se montrer. Ce marin à la peau basanée, je ne le sentais pas. Il était louche, et son ton acerbe ne m'encouragea pas à obtempérer. Pourtant, je savais où était ma place, et je savais également obéir : jamais je ne remettais en question les ordres d'un capitaine sur son propre bâtiment. Mais là... Non. C'était hors de question.

« Je n'ai pas besoin d'une nourrice, Oliver. Laisse-moi tranquille. Je ne descendrai pas. Je ne suis jamais tombée d'un mât et ça ne commencera pas aujourd'hui. Si tu y tiens tellement, il faudra venir me chercher. »

Regard frigorifique. Si tu poses la main sur moi, maraud, je te l'arrache – voilà ce que disaient exactement mes prunelles obstinées. De moi, l'on disait toujours que j'avais hérité la beauté de ma mère – et le sale caractère de mon père. Pauvre Oliver qui en faisait les frais...

La voilure du Black Rock. Sérafina aimait s'y installer et observer l'immensité bleutée qui s'étendait à ses pieds. Il était fascinant de voir comme les choses lui paraissaient différentes vu de cette hauteur. Les marins qui s'affairaient sur le pont étaient semblables à une multitude de fourmis s'agitant en tout sens, le Black Rock d'ordinaire si imposant et terrifiant perdait de sa prestance et ne paraissait plus aussi effrayant. Elle pouvait rester de longs moments assise là, à rêvasser, réfléchir, songer. Elle aimait la caresse du vent sur sa peau. Elle avait une saveur plus intense que lorsqu'elle était sur le pont, un goût de pure liberté. La jeune femme était toujours seule sur le mât, les marins n'aimant guère grimper aux cordages. C'est d'ailleurs ce qui rendait cet endroit si intéressant. Perchée dans la voilure personne ne venait la déranger et cela lui allait très bien! En ce sens elle comprenait le désir de Lou-Ann de s'isoler et de rejoindre cet endroit que la pirate affectionnait particulièrement.

Cependant ce n'était pas une raison suffisante pour s'esquiver à tout bout de champ! Les ordres étaient les ordres et Sérafina comptait bien les appliquer à la lettre. La jeune Lou-Ann descendrait de ce mât, de gré ou de force!

Apparemment la belle n'était pas d'humeur très coopérative et semblait fermement décidée à lui mettre des bâtons dans les roues jusqu'au bout. Qu'à cela ne tienne, on ne se débarrassait pas de Sérafina si facilement! Le ton agressif et le regard glacial que Lou-Ann lui lança en aurait découragé plus d'un. Mais ça, c'était compter sans le sale caractère et l'opiniâtreté du pirate. Lorsque Sérafina voulait quelque chose, elle l'obtenait toujours, elle n'avait jamais cédé à qui que ce soit et ça n'allait pas commencer aujourd'hui! Si Lou-Ann pensait la décourager avec ses paroles acerbes elle se trompait lourdement. Sérafina s'approcha de la jeune fille et planta son regard noir dans le sien, un sourire narquois se dessinant sur ses lèvres.

« Tu n'as pas besoin d'une nourrice et moi je n'ai pas besoin que tu sois constamment dans mes pattes. Jouer les nourrices ne m'amuse pas plus que toi, mais les ordres sont les ordres. Je ne suis pas sûre que le capitaine apprécierait que tu contestes ses directives. »

Le pirate s'éloigna puis fini par s'asseoir sur la vergue.

« Tu ne veut pas descendre? À ta guise. Le capitaine a ordonnée que l'ensemble de l'équipage veille sur toi. Tant que tu restera ici, je resterait aussi. »

Les jambes pendant dans le vide, Sérafina observait l'horizon, souriant intérieurement. Cette jeune péronnelle ne se débarrasserait pas d'elle aussi facilement. Et puis il valait mieux affronter son regard furibond plutôt que la colère du capitaine.

Pourquoi l'univers me traitait-il constamment comme si j'étais toujours une enfant ? Avais-je tellement besoin d'une nourrice accrochée à mes basques comme une mouche à un pot de miel ? J'estimais avoir largement fait mes preuves par le passé et être capable de me débrouiller par moi-même, même au milieu de ce ramassis de brutes épaisses qui constituaient l'équipage du Black Rock. Après nous, nous étions tous de la même nation, combattants du pavillon noir, et je ne voyais pas quel genre de danger je pouvais bien courir au milieu des miens... Bon certes, c'était faire preuve d'une naïveté affolante. Je savais bien quel genre d'hommes peuplait le Black Rock. Leur façon de traiter les femmes comme des objets, leur manière de prendre ce qu'ils voulaient sans se soucier d'autrui. Ils étaient la liberté dans ce qu'elle avait de plus égoïste.

Je n'avais peur d'eux cependant. Certes, j'avais commencé ma vie d'adulte dans le cocon protecteur de l'Audacia, où j'étais aimée et appréciée tout autant que j'aimais et appréciais le reste de l'équipage. Nous étions une sorte de grande famille – mon père avait toujours veillé à ce que la cohésion du groupe soit forte afin de renforcer nos rangs, à la bataille. J'avais forgé mon caractère de femme dans cet environnement et j'étais donc plutôt mal à l'aise sur le Black Rock où de tels liens n'existaient pas. Je pensais être de taille à me défendre, en cas de besoin, même si les directives d'Allister étaient un peu vexantes.

Et cet Oliver qui me suivait comme mon ombre... C'était lassant. Étrangement, face à lui, je n'avais pas cette sensation de danger latent qui flottait dans les airs autour des autres membres de l'équipage. Il était bien un peu plus frêle que les autres, plus finement bâti que la plupart des brutes épaisses qui pullulaient à bord, mais je l'avais vu à l'œuvre et je savais qu'il cachait une grande force nerveuse. Il ne collait pas vraiment au type des pirates qu'on trouvait sur ce navire, et je m'interrogeai silencieusement alors qu'il s'installait sur la vergue non loin de moi. La corde à laquelle je me tenais vibrait doucement sous l'effet du vent et je savourai quelques instants sa caresse sur mon visage avant de reporter mon attention sur mon très agaçant garde du corps.

« Je n'aime pas ce navire. Tu le sais très bien. Je voudrais n'avoir jamais mis les pieds à bord : vous êtes trop différents de ceux de l'Audacia pour qu'on puisse bien s'entendre. C'est dommage, mais c'est comme ça. Je changerai jamais : personne me prendra ma liberté. Je regrette de t'imposer ça, mais je n'ai pas l'intention de te faciliter la tâche. »

Mon navire me manquait. Loin de l'Audacia, je dépérissais – et mon père me manquait tellement. Denise aussi. Et Peter, cher Peter, et Angela, et Charlotte... et tous les autres. C'était ma maison. Je n'envisageais plus l'existence ailleurs. Et Oliver, c'était quoi pour lui, le Black Rock ?

« Comment tu arrives à vivre ici, toi ? »

La tension sur le navire est palpable. Plus que d’ordinaire. Tout ça à cause de l’arrivée d’une catin. J’ai toujours été de l’avis qu’une femme à bord n’apporte que des ennuis. La preuve. Le capitaine est sans-cesse en train d’arpenter le pont et ne nous laisse aucun répit. Il faut la surveiller, ne pas la toucher. En somme, elle ne sert à rien. Je n’ai pas compris la raison de sa venue et à dire vrai, ça m’intéresse comme le nom du dernier couard que j’ai éventré. Je décide de prendre une pause dans mon travail de stratège et prend un morceau de bois pour le « sculpter » à la dague. Tout est calme et je tourne en rond. Je n’ai qu’une hâte que l’on débarque et qu’on laisse l’autre pirate à port. Nous pourrons enfin reprendre nos activités par la suite.

Le regard perdu vers les horizons d’eau qui s’étendent, je continue mon activité et laisse malheureusement mon esprit prendre le dessus. Ce pirate à deux écus vient de l’Audacia. Le même navire qu’Owen. Sa présence m’énerve, m’excède. Elle me rappelle que j’ai un jumeau qu’il est quelqu’un de bien plus honorable que je ne le serai jamais. Ah ! j’ai grand hâte qu’elle retrouve son petit navire respectable. En attendant, je reste ici. Bien décidé à ne pas l’approcher de quelque manière que ce soit. Encore des copeaux qui tombent dans l’océan et disparaissent. Si seulement ça pouvait être le cas ça pouvait être aussi simple avec l’autre brune. Hop ! Par-dessus bord et on en parle plus. Nouveau geste rageur. Je me coupe. Allant chercher un tissu afin d’essuyer le sang qui coule, je tombe sur la capitaine.

Allons bon voilà que je dois partir à la recherche de la fille Jedidiah. Oui, parce que je viens d’apprendre qu’elle est la bâtarde du capitaine de l’Audacia. Voilà qui expliquait nombre de choses. Me voilà à arpenter le pont à la recherche d’une gamine. Je jure contre sa venue une fois de plus. Les femmes ne sont que des sources à problème. Je ne cesserai jamais de le répéter. Elle n’était utile qu’une fois de temps à autre quand un homme en ressentait le besoin. Mais celle-ci hors de question. Totalement inutile. Je continue ma traversée de long en large et lève les yeux au ciel par réflexe. Ah tiens ! La voilà perchée sur la vergue avec l’un de nos pirates. Je décide de faire le rapport au capitaine et de me plonger à nouveau dans ma carte qui me renvoi immédiatement la chercher. Sur le pont. Pas d’alternative possible. Source de problème. J’y retourne et décide d’expédier la chose.

- Là-haut ! Descendez immédiatement ! Ordre du capitaine.

Les visages se tournent vers moi. Je reconnais le second assis sur la vergue. Oliver. Manquait plus que lui. Source à problème. Je commence vraiment à détester cette gamine.

En se comportant comme le pire des pots de colle Sérafina pensait provoquer la jeune fille et la faire sortir de ses gonds. Elle s'attendait à une réaction des plus explosives. Son manque de réactivité était presque vexant d'ailleurs. Le pirate s'attendait à mieux de la part de cette demoiselle au caractère bien trempé. Quelque chose avait changé. Lou-Ann semblait soudain légèrement mélancolique. Son agressivité avait laissé place à une étrange nostalgie. L'Audacia lui manquait. C'était perceptible au ton de sa voix. Sérafina ne comprenait pas comment on pouvait s'attacher autant à un navire. Après tout, un bateau ce n'était qu'une coque de bois avec un mât, des voiles et un équipage grouillant qui s'activait à son bord. Pas vraiment le genre de choses auxquelles on pouvait s'attacher. Ce n'est pas non plus le lieu idéal pour élever une jeune fille. A cette pensée, elle sourit, elle était bien placée pour philosopher sur la place ou non d'une femme sur un navire! Si elle devait quitter le Black Rock, lui manquerait-il? Probablement. En réalité, ce serait davantage sa liberté que le navire en lui même qu'elle regretterait. A son bord elle avait trouvé sa place. On reconnaissait sa valeur et son courage. Elle était l'égal de n'importe quel homme ici. A ceci près qu'elle devait cacher qu'elle était une femme. C'était le prix à payer pour être libre et elle sacrifiait volontiers sa féminité pour vivre comme elle l'entendait.

La question de Lou-Ann la dérouta. Pourtant la réponse était simple. Elle préférait vivre sur un navire pirate en compagnie de brutes épaisses et sanguinaires plutôt que de devoir vendre son corps au plus offrant pour survivre. Elle réfléchissait à un bon gros mensonge à servir à la jeune fille quand une voix venue du pont les interpella. Assez grossièrement d'ailleurs. Décidément on ne pouvait jamais être tranquille sur ce rafiot! Tant pis, la récréation était terminée, il fallait redescendre. Mais d'abord elle se devait d'envoyer promener celui qui avait osé les apostropher de la sorte. Sérafina se figea quand elle vit qui les avait interpellé. Cleeve. Manquait plus que lui! Comme si ça ne suffisait pas de jouer les nounous pour une gamine impossible, il fallait qu'elle tombe sur lui! Finalement, il n'était plus si urgent de redescendre. Elle s'adressa à Lou-Ann :

Tu as entendu quelque chose? Reprenons notre conversation. Où en étions nous?

Elle était fermement décidée à laisser cet insupportable pirate s'égosiller tout seul sur le pont.

Décidément, on ne pouvait jamais être tranquille, sur cette coque de noix maudite. Même perchée en haut des mâts, même après avoir rembarré sèchement Oliver, même avec l'éventualité d'une discussion calme et amicale – même après tout ça, je restais sur la défensive, et l'apostrophe virulente qui nous parvint depuis le pont ne faisait rien pour arranger les choses. Une voix aux sonorités familières, un visage connu. Cleeve Kennedy, bien sûr. Le frère si noir, si sombre. Je connaissais Owen et je l'adorais. Il avait toujours cette bonne humeur flamboyante et cet esprit chaleureux qui faisaient de lui un grand frère idéal. En montant à bord du Black Rock, j'avais eu peine à identifier en Cleeve son jumeau. Le même visage, certes, la même silhouette, la même carrure. Mais là où Owen respirait la joie de vivre et la jovialité, Cleeve était... sombre. Amer. Effrayant même presque par cette détermination absolue qu'il semblait mettre à se montrer brutal et rétif. Aucune de mes tentatives d'approche n'avaient fonctionné – il refusait d'entendre parler de son frère et je m'étonnais de cet état de faits, alors qu'Owen, lui, parlait sans cesse de Cleeve.

Oliver non plus ne semblait guère apprécier son camarade de bord. A peine l'avait-il superbement ignoré que je sentis venir les ennuis. L'énergumène qui vociférait sur le pont n'avait pas l'air spécialement patient et je sentais venir l'affrontement. Et même si rien ne m'aurait plus réjouie que de voir ces deux pirates barbares s'affronter sur le pont, j'étais suffisamment avisée pour savoir que cela ne résoudrait rien.

« Oliver, si tu l'énerves, ce sera pire. Je veux pas avoir un combat sur les bras. »

Je me tournai vers la silhouette qui semblait minuscule en contrebas. Cleeve Kennedy... Une énigme. Parviendrais-je un jour à percer le secret de cette âme torturée ? Je pris une grande inspiration et hurlai, cramponnée aux cordages qui me soutenaient.

« On descendra pas, Kennedy ! Mais tu peux monter si tu veux ! »

Femelles équivaut à problèmes. Cette équation est probablement la plus facile que j’ai eu à résoudre durant mon existence. Et s’il me manquait des preuves, je peux dire qu’aujourd’hui ça n’est plus le cas. Depuis son arrivée sur le notre navire elle me tape sur les nerfs. Aujourd’hui est le coup de grâce. Insolence, arrogance. La brunette commence sérieusement à me donner des envies de meurtre. Sans répondre à l’invitation, je pose un pied sur le cordage et entreprend l’ascension. « Je veux qu’elle ait les pieds sur le pont » qu’avait dit le capitaine. Elle les aurait, même si je devais pour cela la porter sur mon épaule et faire face à une crise juvénile.

Mon regard se porte vers la vergue et le pirate assis aux cotés de l’intrus. Ma rage ne fait que se décupler. Celui-ci aussi ne m’inspire pas. Ou au contraire, il m’inspire trop. Il n’est pas net, et je ne comprends pas pourquoi il fait toujours parti de l’équipage. Dire que je réussissais à l’éviter de manière magistrale. Et voilà que je vais devoir me retrouver à quelques centimètres de lui. Qu’elle quitte son petit air candide et innocent. Ce n’est pas ça qui m’empêchera de la traiter comme il se doit. Hors de question de la violenter. Très bien message compris. Mais rien ne m’empêche de lui montrer de quelle manière nous vivons ici, sur le Black Rock.

Elle tombera rapidement de son petit nuage. Elle découvrira ce qu’est la véritable piraterie et qu’elle n’y a pas sa place. Qu’aucune femelle n’y a sa place. L’amitié, la fraternité, le cœur. Tout ça n’a rien à voir avec ce qu’ils faisaient eux. Elle allait le comprendre dans peu de temps et peut-être qu’ainsi, elle arrêterait de venir à sa rencontre. Lui, n’était pas admirable, n’était pas mielleux. Oh oui, elle allait comprendre. Même sans la toucher.

Enfin, j’arrive en haut. Je ne quitte pas le cordage. Mon regard rencontre en premier lieu celui d’Oliver. Je sens directement les effets dans le bas de mon corps. Il n’est pas net, vraiment pas. A chaque fois que je le croise j’ai le corps qui tremble, une pulsion qui me tente de suivre. Comme lorsque j’étripe ou viole les mégères d’une ville. Cette sensation que je ne contrôle pas ne fait que décupler ma rage. J’explose.

- C’est incroyable qu’il faille que je m’en charge. Tu n’es donc bon à rien ici ? Les ordres du capitaine étaient pourtant clair non ? Et toi que fais-tu ? Tu restes, là. A discuter.

Je me retourne, toujours aussi hargneux vers celle qui est la cause de tous mes ennuis.

- La pause est terminée. On redescend. Que tu le veuilles ou non.

Bien décidée à ignorer Cleeve qui vociférait en bas, Sérafina scrutait l'horizon en attendant qu'il perde patience et abandonne. C'était compter sans Lou Ann, cette impossible gamine, qui eut la riche idée de lui proposer de monter les rejoindre. Et puis quoi encore? Manquait plus que ça! Non, non, non et non! Il était hors de question qu'il grimpe à leur rencontre! Et zut! Le cordage se tendait, signe que le pirate avait entamé son ascension. Vraiment, elle détestait cette gamine. Non seulement elle devait jouer les nounous mais au moment où une conversation calme et amicale aurait pu s'installer entre elles, il avait fallu qu'elle invite Cleeve à les rejoindre. Sérafina s'appliquait soigneusement à éviter ce maudit pirate et voilà qu'elle allait se retrouver à quelques centimètres de lui par la faute de cette Lou Ann de malheur!

Un frisson la parcourut et elle sut que Cleeve était là avant même de croiser son regard. Toujours accroché dans les cordages il se remit à tempêter. Comment ça, elle n'était bonne à rien? Attention à ce que tu dis Cleeve Kennedy! S'il y avait bien un sujet sur lequel il ne fallait pas asticoter Sérafina, c'était celui de sa valeur. Elle était pirate sur le Black Rock, le plus féroce navire de tous les carraibes et se fondait parfaitement parmi l'équipage. Lors des combats elle faisait preuve d'autant de sauvagerie que les autres marins. Elle avait maintes fois prouvé qu'elle avait sa place ici et elle n'allait pas laisser ce pirate arrogant dire le contraire! Comme elle le détestait à cet instant précis. Elle ne supportait pas que quiconque mette ses capacités en doute. Mais ce qu'elle haïssait par dessus tout, c'était l'emprise qu'il avait sur elle. Pourquoi ressentait elle cette pulsion presque irrépressible quand elle le voyait? Sérafina avait l'impression de perdre le contrôle et c'était une chose qu'elle ne supportait pas. Cette situation lui inspirait des sentiments contradictoires. Elle était tiraillée entre l'envie de se coller contre lui et celle de le jeter par dessus bord. Elle n'aurait su dire de ces deux solutions laquelle lui paraissait la plus tentante. Malgré la confusion qui régnait dans son esprit, elle se ressaisit. Cleeve avait osé mettre son utilité à bord en doute. Il allait devoir payer cet affront. Elle planta son regard noir de haine dans le sien.

« Il faut redescendre? Après toi. Continue de me provoquer et c'est la tête la première que tu va rejoindre le pont. »

Sa voix sourde de colère et son regard haineux ne laissaient aucun doute quant à ses intentions. Avisant la main ensanglantée du pirate elle ajouta :

« Je me demande comment le capitaine peut bien tolérer un pirate aussi maladroit à son bord. »

C'était méchant et gratuit, mais il l'avait cherché.